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L'IA et l'avenir de la créativité humaine

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Le Dr Kimble s'arrête net. L'évasion est terminée. L'agent Gérard pointe son arme sur lui et le somme de déposer son arme et de se rendre. Le fugitif n'a pas d'échappatoire. Il est face à un agent des forces de l'ordre qui ne s'arrêtera pas jusqu'à son arrestation. Derrière lui, une chute libre de plus de cinquante mètres. Il sait que s'il se rend, il sera perdu, on le condamnera pour avoir tué sa femme, sans avoir trouvé le véritable coupable. S'il saute... s'il saute, il aura peut-être une chance... 

La peur de l'abîme aurait pu pousser le protagoniste du film Le Fugitif (Davis, 1993) à décider d'arrêter de lutter pour défendre son innocence et de s'abandonner à son destin fatal, mais sa conviction était plus grande que sa peur et il décida de sauter. La chance et les besoins du scénario se sont avérés de son côté et le médecin a non seulement survécu à la chute, mais a finalement pu prouver son innocence.

Dans la vie, nous sommes souvent confrontés à des décisions difficiles à prendre. Sans en arriver à la précipitation du fugitif, mais en risquant des questions de valeur, il faut choisir le moindre mal entre deux maux ou deviner quelle est la bonne voie entre deux chemins confus. Nous nous trouvons actuellement face à l’un de ces dilemmes. L’intelligence artificielle (IA) générative a explosé et la société est déchirée entre la peur et l’acceptation. Certains voient dans cette nouvelle technologie la menace de perdre leur emploi, leur vie privée ou même leur humanité, tandis que d’autres voient l’IA comme un outil d’efficacité, d’assistance, voire une nouvelle ère évolutive.

Les changements entraînent toujours une certaine réticence. Au début du XIXe siècle, le luddisme fait son apparition en Angleterre. Il s'agit d’un mouvement d’artisans qui protestent contre les machines de la Révolution industrielle. Alléguant que l’automatisation des processus réduirait la qualité des produits et les salaires tout en augmentant leurs heures de travail, les Luddites firent irruption dans les usines pour y détruire les machines à coups de marteaux. Près de deux siècles plus tard, l’ère numérique entraîne des mobilisations du secteur culturel s’insurgeant contre les échanges de fichiers entre internautes. Les personnes concernées ont protesté et ont fait pression auprès des législateurs de sorte qu’il soit mis fin à la piraterie.

Ces manifestations ont contribué à améliorer les conditions de vie des personnes touchées par les innovations technologiques. Les syndicats sont apparus à la suite de la Révolution industrielle, tandis que la révolution numérique nous amène des législations et de nouvelles stratégies de partage des contenus et de monétisation selon de nouveaux modèles commerciaux tels que les plateformes de streaming ou le contenu de marque. Ce qui ne s’est en aucun cas produit, c’est un recul de la technologie.

Nous assistons actuellement à une nouvelle révolution, celle de l’IA. Sans aucun doute, la plus vertigineuse de toutes. La Révolution industrielle a commencé en Grande-Bretagne vers 1760 et a mis plus de cent ans pour atteindre les États-Unis. Il a fallu dix mois à Facebook pour atteindre son premier million d'utilisateurs. ChatGPT a été lancé sur le marché en novembre 2022, conquérant un million d'utilisateurs en tout juste une semaine.

Il est normal que nous ayons peur du gouffre qui s’ouvre devant nous. Quasiment du jour au lendemain, nous disposons d’une multitude d’outils capables d’automatiser des processus qui nécessitaient auparavant beaucoup de temps et de connaissances humaines. Les fondements de nombreux processus professionnels sont ébranlés. Quel sens cela a-t-il pour un enseignant de demander à ses élèves de présenter le résumé d’un livre comme preuve de lecture ? Pourquoi apprendre à programmer quand l’IA programme les jeux vidéo à partir de simples invites ? Pourquoi m’efforcer si une IA fera bientôt mon travail mieux et plus rapidement que moi ?

Il y aura toujours des choses à faire, même s'il faut sauter dans l'abîme

Eh bien parce qu'il y aura toujours des choses à faire. En mai dernier, Robert Altman, PDG d'OpenAI, la société mère de ChatGPT, a participé au Global AI Summit organisé par l'ONU à Genève. Il y a déclaré que l'IA « ne supprimera pas tous les emplois », car il y aura toujours « de nouvelles choses à faire ». Et c’est là que réside la clé de toute avancée évolutive : trouver quelle nouvelle valeur ajoutée l’être humain peut apporter. Lorsque nous avons inventé l’agriculture et l’élevage, nous avons gagné du temps pour concevoir de nouvelles formes de création artistique, technique et technologique qui nous ont permis d’évoluer en tant que société. Si désormais, je n’ai plus à perdre une heure pour rechercher les données dont j’ai besoin pour rédiger un rapport, je pourrai consacrer plus de temps à analyser les résultats et à proposer des actions d'amélioration.

Il est vrai que la capacité analytique de l’IA augmente de façon exponentielle, mais, pour le moment, cette technologie n’est pas capable de progresser à elle seule. Aujourd’hui, l’utilisation de l’IA générative est directement proportionnelle aux connaissances préalables en la matière, comme le sougline l'expert en IA Jorge Guillén. Une personne qui n’a aucune notion de questions juridiques ne pourra pas confier à l’IA la défense d’un client, tout comme il faut être expert en marketing pour élaborer une stratégie de marque efficace.

S’il est vrai qu’il existe certains domaines dans lesquels l’IA évolue si rapidement qu’elle peut remplacer l’apport humain, il y en a d’autres dans lesquels elle a encore beaucoup de chemin à parcourir. Le domaine principal à cet égard est la créativité. Ce terme a autant de définitions et d’approches que les chercheurs ont abordé le sujet. Considérant Freud et sa définition de la créativité comme le résultat d'un conflit subconscient ou de l'esprit créatif de Goleman, il semble difficile d'attribuer la capacité créatrice à une machine. Si nous voulons adopter une autre position, une machine peut effectivement trouver une relation entre des idées auparavant sans rapport qui se manifestent sous la forme de nouveaux schémas, d'expériences ou de produits, comme Parnes définit la créativité. Si la création artistique est concentration et mémoire, comme le souligne Arteche, une intelligence artificielle possède ces deux compétences.

Il existe de multiples exemples de créations artistiques réalisées par des machines. À la fin des années 1960, le Britannique Harold Cohen a exploré de nouvelles possibilités créatives en utilisant des ordinateurs, ce qui a conduit au développement d'AARON, un programme de dessin artistique à main levée. Au cours des décennies suivantes, Cohen a perfectionné AARON, produisant des milliers de dessins dans différents styles et échelles.

Dans le domaine littéraire, on peut considérer qu'une première œuvre à intention narrative est apparue en 1984, lorsque le programme RACTER a généré le livre The policeman’s beard is half constructed. Le programme générait du contenu de manière autonome, présentant des textes courts, plus ou moins narratifs et cohérents, mais certainement intéressants pour alimenter le débat sur la création artistique.

Ce débat a été fortement relancé en 2016 avec l’annonce qu’un récit co-rédigé par une IA avait surmonté la première phase de sélection d’un concours de roman fantastique japonais. The day a computer writes a novel a utilisé la génération automatique de texte basée sur des paramètres structurels extraits de plus de 1 000 nouvelles et textes de l’écrivain de science-fiction Hoshi Shinichi sur la façon de rédiger des essais. Ce qui surprend dans ces récits, c’est la cohérence structurelle et l’intention qu’ils véhiculent.

En 2018, Ross Goodwin, créateur de l'intelligence artificielle, a adapté une voiture Cadillac en installant des équipements permettant à une IA de saisir automatiquement des textes lors d'un voyage le long de la côte est des États-Unis. Le résultat a été le livre 1 the Road, une histoire imprégnée de la tradition littéraire américaine et du journalisme Gonzo qui présente une série de descriptions évocatrices de l'environnement parcouru. 

Dans le domaine audivisuel, en 2016, le court métrage Sunpring a été présenté, comme étant la première œuvre audiovisuelle créée par une intelligence artificielle dénommée Benjamin. On l’a nourrie de centaines de scénarios de science-fiction, puis on lui ont donné quelques indications de base comme le titre, l'action d'un personnage et une phrase comme points de départ. L’histoire est totalement décousue et dépourvue de tout type de valeur narrative ou artistique. Il s'agit d’une expérience amusante que ses auteurs ont tenté de pousser plus loin avec le court métrage Zone Out. Cette fois, le scénario et la réalisation ont été confiés à Benjamin, ce qui a abouti à une œuvre encore plus bizarre.

Actuellement, une multitude de créations audiovisuelles générées dans une plus ou moins grande mesure par l’IA sont disponibles sur Internet. Bon nombre d’entre elles sont projetées dans des festivals spécialisés comme le +RAIN Film Festival ou l’AI Film Festival.

The Core School et son premier court métrage alimenté par l'IA

Alors, une machine peut-elle être créative ? Peu importe. L’important, c’est que l’être humain est créatif et que cette créativité ne peut être contenue. Dans l’établissement The Core Escuela Superior de Audiovisuales, de Planeta Formación y Universidades, nous venons de produire notre premier court métrage qui utilise l'IA comme assistant dans la création du scénario et pour la génération d'animations 3D dans des environnements réels. Nous avons tiré une multitude de leçons de ces processus, mais elles peuvent toutes être résumées en un seul enseignement : créer, c'est toujours amusant. Peu importe que nous utilisions du papier et un stylo, un ordinateur ou le support de l'intelligence artificielle, nous avons toujours besoin de raconter des histoires, nos histoires. Parce qu’à travers les histoires nous nous définissons, les histoires nous unissent et nous expliquent. Une société se reflète dans ses récits. Nous sommes parce que nous racontons ce que nous sommes. Nous sommes parce que nous imaginons. Continuons à imaginer. L'avenir a toujours été incertain, des abîmes s’ouvrent à chaque pas que nous faisons depuis que nous nous laissons emporter par la curiosité et l'ambition. Franchissons cette étape ensemble et définissons l'avenir sans crainte. Nous sommes les créateurs de notre propre histoire.